In Memoriam Monferrier Dorval
Lorsqu’il s’agit de défendre l’intégrité et la dignité de la patrie, il y a un honneur à mourir au combat. Et il est une loi que les meilleurs partent les premiers. Monferrier Dorval est de la trempe de ceux qui ne tremblent pas au moment d’affronter l’adversité. Il l’a prouvé maintes fois, au cours de ses plaidoyers, dans ses cours et dans son engagement en faveur d’une Haïti meilleure. Un seul homme en trois personnes et qui a traversé notre siècle comme un météore, juste avant de tomber sous les balles d’assassins anonymes. Anonymes par l’oubli dans lequel l’histoire les enterrera. Insignifiants par rapport au mapou qu’ils ont fait tomber par lâcheté. Ce guet-apens déshonore ceux qui l’ont commandité bien davantage encore que ceux qui l’ont commis.

De Monferrier nous garderons l’image d’un tribun solaire, à l’aise dans nos deux langues, en robe ou au civil.
Car il fut avant tout un homme de loi, l’un des meilleurs spécialistes de droit constitutionnel en Haïti. Le matin de son assassinat, il opinait encore, avec véhémence, sur la nécessité d’une réforme constitutionnelle dans notre pays, pour sortir de la situation de crise dans laquelle patauge la société depuis une génération. Nous garderons de lui le profil d’un brillant juriste, capable de rendre limpide les situations les plus inextricables, par une connaissance des textes de lois et une maîtrise de l’art de plaider qui font honneur à ce citoyen soucieux de justice et de clarté. Cette fonction a fait de lui un gardien de la mesure.
Monferrier Dorval fut aussi un excellent pédagogue. Faisant passer dans ses cours la ferveur qui l’habitait, il trouvait toujours le temps nécessaire pour expliciter chaque notion jusqu’à ce que le dernier de la classe pût se sentir à l’aise dans le maquis de problèmes et les arcanes de concepts qu’il faut maîtriser pour avancer dans les sciences juridiques. Les étudiantes et les étudiants de la Faculté des Sciences Humaines et Sociales, celles et ceux de la Faculté de Droit et de Sciences Economiques garderont de lui le souvenir d’un professeur passionnant, qui attachait beaucoup de prix à la fonction de pédagogue. Il aura formé des générations d’avocats et de juristes depuis 1995.
Un quart de siècle de bons et loyaux services.
S’il ne s’agissait que l’espérance de vie d’un marin sur le pont dans un bateau normal, on pourrait se sentir quitte avec la mort. Mais dans une situation de pénurie chronique des ressources humaines, les hommes de la qualité de Monferrier Dorval sont rares, et les assassiner revient, pour le vaisseau où cela arrive, à jeter par-dessus bord les richesses les plus précieuses sans espoir de retenir longtemps les quelques téméraires qui restent et qui observent, consternés, la barbarie en marche.
Monferrier Dorval fut enfin un citoyen engagé. Avec la conviction que les plus instruits ont un devoir de partager leur savoir avec les moins favorisés. Il ne s’est pas contenté de pérorer au tribunal, mais il est redescendu dans l’arène. Pour former les plus jeunes et passer le relais d’une tradition de bâtonniers prestigieux qui ont marqué l’histoire de la Justice en Haïti.
Il fut certainement un patriote sincère et un travailleur acharné, qui mettait par-dessus tout la qualité de l’enseignement et la droiture du raisonnement. Ce Grenadier de l’esprit avait de la mission de l’avocat, du professeur et du citoyen une idée très haute qui lui fit considérer comme un devoir sacré le sacrifice de sa vie.
Ses paroles resteront gravées dans nos pensées. Et son action sera reprise par la postérité de la même façon qu’il a lui-même porté plus loin le combat en faveur du droit initié par les premiers des Nègres. Les racines profondes et nombreuses qui ont inspiré son action continuent de nourrir en nous l’espoir de nouveaux bourgeons, d’un nouveau printemps, pour Haïti.
Jean Marie Theodat
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