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«Lanmou n kidnape»: sa dimension SOCI-ART-BILITE

La formation musicale KLASS vient de sortir une chanson intitulée «Lanmou n kidnape», ce lundi 10 Avril 2023. Cette chanson qui annonce leur 11e anniversaire, appert à l’évidence de l’esthétique sentimentale réalisée sous le socle de la crise sociale et politique haïtienne. 

Richie passe de la perception visuelle, auditive à l’expression verbale. Des choses qu’il voit, entend et qu’il transpose en son. Il puisse dans la réalité sociopolitique haïtienne pour construire une histoire d’amour. En se faisant, il met l’amour en rapport avec la politique pour favoriser des situations réceptives gratifiantes.

Résumé:  

La chanson parle de deux partenaires qui partagent une relation amoureuse à distance: l’un vit en Haïti et l’autre à l’étranger. Auparavant, celui qui vit à l’étranger pouvait renter avec facilité pour voir son partenaire. Malheureusement, depuis deux ans, les gangs ont pris le contrôle du pays, plus précisément de la capitale, il ne peut pas rentrer comme bon lui semble au risque de se faire kidnapper ou même tuer, et son partenaire, malgré lui, le décourage de rentrer. Cette distance pèse lourde sur leur relation mais il espère un jour de rentrer afin de profiter les délices corporels et psychologiques de leur amour. 

Contexte et prétexte de création

Après 1986, pour certains, le pays a gagné la démocratie politique et non  pas la démocratie sociale. Les politiques qui ont été proposées n’ont pas pu arriver à rendre meilleure la vie de la population haïtienne. Des coups d’Etat, débarquement des militaires étrangers, armement des quartiers populaires, la misère, assassinats,  kidnapping, etc., Cette vieille méthode qui consiste à armer les citoyens par les autorités, des hommes d’affaires pour le contrôle des territoires et d’autres citoyens qui profitent de la situation, a fini par faire exploser le pays surtout la capitale de Port-au-Prince. Ainsi le pays est devenu de plus en plus invivable pour ses fils. Actuellement Port-au-Prince est assiégée par des gangs. La population ne sait à quel saint se vouer. Le pays a peur. La plupart des haïtiens se trouvent dans l’obligation, malgré eux, de fuir leur quartier ou leur pays et ceux qui sont dans la diasporas n’ont pas la certitude de pouvoir rentrer sain et sauf dans le pays. Bref, Port-au-Prince est sous les bottes des bandits et les autorités ne font qu’assister les dégâts. 

La dimension fiction-réaliste de la chanson

Ici, ce n’est pas l’histoire du film Hiroshima mon amour, réalisé par Alain Resnais dans lequel après la seconde guerre mondiale, le réalisateur entend mettre en relation la guerre et le sentimental sur une assise de transfert psychanalytique. Tout de même, on est dans le registre fictionnel mais une fiction-réaliste. Cette histoire que propose Jean Hérard Richard se passe au moment où elle est racontée avec ses propres dispositif eidétique. C’est la raison pour laquelle «ce serait toutefois une illusion de penser que l’artiste peut opérer une transcription directe de ce qu’il voit; il reconstruit en réalité à travers une technique adéquate une version qui est cohérente avec ses impressions…»

Jean Hérard Richard dit Richie, de son lieu de création, tire le profit artistique de ces réalités, spécialement le kidnapping pour composer une chanson, non seulement qui soit capable de faire vivre une histoire sentimentale, mais aussi qui soit capable simultanément de montrer la situation politique et sociale du pays. Son œuvre se réfère à la réalité haïtienne, une histoire qu’il fabrique à partir des éléments spatio-temporels haïtiens: Port-au-Prince, Kidnapping, embargo, etc.. Ce qu’il propose n’est autre que la réalité inversée ou fantasmagorique de la situation du pays. Si l’histoire se passe et construite pour être délectée dans une chanson, elle est la caricature de ce qui se passe dans le réel haïtien. 

La dimension littéraire de la chanson

  1. Énonciation des strophes

Contrairement à un film, un roman, la chanson comme dispositif poétique, le poète ne saurait raconter un déroulement de manière classique mais il évoque, il expérimente le lyrisme. Il doit choisir le moment clé de son histoire. C’est en sens que l’écriture poétique de la chanson est en ellipse. Il y a des non-dits, des omissions d’une suite logique. L’histoire débute ainsi:

M avè l leve nan menm katye

Se nan menm lekòl nou te ye

Pa bezwen di w jan n te abitye

Jiskake mwen vwayaje

Après il y a une cassure dans la progression:

Te konn fè va-et-vient

Pa t gentan pou chagren

Mwa sa fè dezan m pa ka mete pye 

Il conclut la strophe avec un vers qui mime la situation politique du pays. Ce même vers va fermer la seconde strophe dans une structure d’accumulation parallèle. La relation entre le sentimental et la politique: Lanmou m kidnape, peyi m debalize

Jean Hérard Richard poursuit dans sa narration, cette fois-ci, c’est avec un passé récent. Précisons si dans le 3e, 5e et 7e vers de la première strophe, le voyage est mentionné, dans le 2e, 3e et 5e vers de la deuxième strophe, le voyage est aussi mentionné mais elle est débouchée sur une négation. C’est une envie inaboutie. Le 5e vers de la première strophe ne traduit pas seulement l’idée du voyage « te konn fè va-et-vient», il est aussi suggestif, l’acte sexuel. Ce qu’on retrouve également au 7e vers de la deuxième strophe: «pito m voye, olye m vini,» tout comme le vers «kay sa a pral kwaze». 

Le 6e vers de la première strophe, pour sa part, est en opposition émotionnelle avec le 5e vers de la deuxième strophe. C’est-à-dire si le premier parle d’un non-chagrin, le deuxième parle de chagrin. C’est l’évolution narrative dans la construction de l’histoire de la chanson: présence et absence prolongée. 

En d’autre termes la disposition des vers dans les deux strophes, en corrélation essaie de rendre compte l’histoire progressive des deux partenaires. Si dans un premier temps, il était facile pour eux de se voir, dans un second temps, il est devenu difficile. Entre l’envie et les interdits, leur sentiment balance. 

Semenn pase manman l mouri

Se moman pou m te avèk li

Men li di m cheri pa vini 

Pa fè potoprens konfyans

konnen l ap soufri, fò  m ta vin Ayiti

Men li di m: «pito m voye olye m vini»

Lanmou n kidnape, peyi m debalize

Cet absence devient un tourment pour le partenaire qui vit à l’étranger et une résignation pour celui qui se trouve à Port-au-Prince. On dit toujours un amoureux est un égoïste, ainsi il vit sa relation entre la passion et la folie. Il l’aune l’amour à travers lui, ses gestes ou encore ses perceptions et tout le reste n’est qu’illusion, de la vanité. Il est cet être fragile qui ne veut pas perdre son moitié. Il porte un regard absolu et éternel sur l’être aimé. Heureusement, la distance ne saurait détruire cet amour car toute relation amoureuse sincère ne succombe pas sur le poids de la distance. Au contraire, ça l’intensifie. Si la fille de Dibutade reproduisit le portrait de son amoureux sur le mur pour pallier son absence, l’amoureux dans la chanson porte son partenaire dans son mental. 

Lannuit li pa posib pou dòmi pran m

San chalè kò w santi m ap pèdi nanm

Cause i realy miss my boo 

Li pa rele lanmou san ou

M ap fè tout vye rèv

Peyi m an grèv

M rele priye bondye chak jou

Pou malè pa rive ou 

M p ap jwenn yon lòt ki pi gou 

Ce passage de vers n’est autre que le résultat de cet absence. C’est la strophe de la synthèse des douleurs, des manques, des hiatus, de l’incapacité à agir sur le présent  et aussi de l’espérance.

La construction des figures rhétoriques. 

Le compositeur ne se contente pas seulement de faire des vers énonciatifs, mais il entend aussi construire des tropes. Le titre même de la chanson est hyperbolique. Dans le 1e et 2e vers de la première strophe, on constate le mot «menm», c’est une anaphore. Dans le 8e vers, une métonymie. Au 3e vers de la deuxième strophe, une litote qui prend la facture d’une personnification. Arrivé au premier vers du refrain,on a une comparaison et des métaphores filées dans les vers qui suivent, etc.. Sans oublier les différentes allitérations consonantiques qu’on retrouve dans les vers. (Ce sera pour un autre travail, on abordera également la dimension artistique: La vidéo, l’instrumental). 

La dimension pragmatique de la chanson

En travaillant son imagination Richie pratique le pragmatisme artistique. Il arrive à produire une chanson qui soit capable de renouveler son statut d’artiste, comme faiseur des réalités. Il sait faire des passages, créer des situations esthétiques. Il combine la politique et l’amour pour une jouissance subjective, sentimentale et patriotique inédite. Autrement dit, de son œuvre se dégage une esthétique de la vérité. Il puise dans sa société et programme son matériau sonore pour qu’il fasse des effets de séduction, de conviction chez les récepteurs et de système artistique à imiter chez d’autres artistes qui sont de potentiels concurrents. Le pourquoi? Étant «interprète privilégiés des signes et des symboles», il prend leurs réalités(récepteurs) et leur propose comme des stimulus qui sont capables d’éveiller leurs émotions, et les récepteurs se régalent d’avoir une chanson qui leur permet de s’identifier. En ce sens la chanson devient leur miroir ou encore leur foyer psychique contemplatif. 

Conclusion

L’oeuvre-d’art est toujours en rapport avec son temps, conscient ou inconscient chez l’artiste. A travers une seule chanson, Jean Hérard Richard met en rapport l’amour et la politique. C’est ce qui fait la force de la chanson, c’est parce que l’amour se construit sous la forme de la politique à travers lequel deux personnes choisissent de se mettre ensemble pour un bonheur commun tout en acceptant les différences de chacun. C’est de même dans la politique, elle consiste à rassembler le collectif pour aboutir à l’égalité, au bien-être des citoyens tout en respectant les divergences d’opinions. Mais la difficulté est que, quand la politique va mal, elle met en péril tous les autres sphères de la société y compris l’amour. 

Cependant, s’il n’y a plus d’espoir dans la politique haïtienne, pour Jean-Carlot Milien, en se basant sur la vidéo, il croit que l’acte de déposer les armes par les bandits s’inscrit parfaitement dans la logique d’une conscience collective pour un retour à un ordre normal. Car d’après lui, en s’appuyant sur une pensée marxiste, «c’est l’homme qui fait l’histoire pour ainsi dire nous sommes le maître de notre histoire.», on peut la changer à tout moment. Soyez des humanistes!

  • Orso Antonio DORELUS

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