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Schebna Bazile et le théâtre, un duo de cœur

Ils ne sont pas disparus, ceux et celles qui cultivent foi en l’essentialité et la puissance de l’art comme valeur. Il existe encore, en Haïti, des âmes qui savent s’abandonner à l’ivresse d’une passion pouvant bien finir par s’avérer vitale. Il est encore, partout, des gens qui, pour constamment rater leur mort, choisissent de faire de leur évènement de vie un culte à la culture. Pour Schebna, c’est le Théâtre. Et au nom de la perduration de la beauté, ni elle, ni cette passion ne peuvent mourir…

Schebna est une jeune femme qui s’investit dans le monde culturel haïtien à travers la littérature, l’art dramatique (écriture dramatique, mise en scène et formation de comédiens), l’organisation d’évènements culturels (spectacles, expositions, festivals etc.) et très récemment dans le cinéma (scénario et réalisation). Elle utilise tous ces moyens pour peindre et présenter des faces de sa société qu’elle considère avoir besoin de plus d’attention. À travers son blog, ses pièces ou ses courts métrages, elle met en avance des traits de la culture haïtienne en pointant des aspects à revoir ou en dénonçant de mauvaises pratiques. Elle est née au Borgne (une commune au Nord du Cap-Haïtien, la ville où elle a grandi) et ses travaux de production ont été présentés aux Cayes, à Port-au-prince et au Cap-Haitien.

Cette histoire de théâtre, comment a-t-elle commencé, Schebna ?
Et avez-vous, avant de vous consacrer totalement à la mise en scène, joué dans des pièces ?

J’ai commencé à faire du théâtre en 2010 avec la troupe de Cluny dirigée par M. Rosny Felix. En 2009, j’ai assisté à un spectacle de ce même atelier, et j’ai tout de suite été conquise. L’année qui a suivi, j’ai intégré l’équipe.
Oui, j’ai joué sur la scène de Cluny et celle du Collège Notre Dame jusqu’en 2013 et ensuite j’ai pris une formation en mise en scène. J’ai toujours préféré les travaux de cuisine. Écrire les pièces, écrire et diriger les projets de production, faire la mise en scène mais surtout rediriger les projecteurs sur d’autres acteurs. Même dans mon coup de cœur pour le cinéma, je suis plus branchée réalisation, montage, scénario, direction artistique etc.

Parlez-nous de votre dernière pièce.

J’ai mis Madan Leya en scène le 30 décembre dernier et c’était une expérience tout à fait extraordinaire. Contrairement à mes autres pièces qui étaient plutôt dans la lignée des reprises de situations historiques, politiques et sociales, Madan Leya est dans la subjectivité. C’est une pièce qui laisse une grande marge à son public pour des prises de positions et même pour sa conclusion. La pièce n’est pas “terminée” si je puis dire. Elle fait état d’un cycle, d’un relativisme avancé et elle invite son public à réagir. En effet, ce dernier a eu des réactions plutôt intenses. Le choc, d’abord. Et ensuite toute une guerre d’émotions entre l’appréciation de l’acte joué et le dégoût de l’acte dénoncé.
Le dénouement n’étant pas complet comme je l’ai expliqué tantôt, je ne peux la classer comme une pièce tragi-comique. Cependant, le public était partagé entre les rires de joie, les larmes de colère et aussi un sentiment de frustration. Elle met en scène des mineurs sexuellement abusés par des responsables d’institutions socialement bien couvertes. C’est un acte assez courant dans notre société mais non-sanctionné (sinon très peu). Je crois même que toute la force des émotions dégagées par le public viennent du fait que de près ou de loin, nous connaissons tous une victime de ce système. Quand il s’agissait de prendre position contre d’autres thématiques comme l’esclavage par exemple (dans chefs en jupons), ou la dictature (dans baboukèt), ou même le restavèk (dans Sentaniz grandi) c’était plus “facile” parce que ces énoncés font corps avec d’autres cercles générationnels ou sociétaux. Mais là, le viol, l’impunité, les cycles de violence, et tous les autres sous-thèmes relevés par Madan Leya sont bien présents et font encore beaucoup de ravages.

Avez-vous déjà été déçue d’un public ?

Parfois, il arrive que le public ne réagisse pas là ou je m’y attendais, pas comme je m’y attendais mais jamais je ne me suis sentie “déçue”.
Choquée ? Parfois, oui. (J’ai vu des gens RIRE quand Jèvilyen assassinait Manwèl dans Gouverneur de la rosée, une fois). Mais je pense que je laisse assez de marge sur la réceptivité d’une pièce pour ne pas tomber dans la déception. Parfois, quand ils s’approchent trop de cette marge (c’est déjà arrivé avec Notre Père en 2016 et en 2017, c’était du théâtre de l’absurde), je “rentre” tout simplement la pièce. Je crois que je peux mettre ma réaction sur le compte de la dualité auteure / metteure en scène. Elle n’est peut-être pas la meilleure à avoir mais on va dire qu’il y a assez d’expériences à aligner; je ne suis pas obligée de repasser par celle-là.

Que pensez-vous du théâtre haïtien d’aujourd’hui?

Je pense qu’il y a de la bonne volonté de la part des opérateurs du milieu, mais tellement peu de moyens que les grands efforts ne font pas l’effet escompté.

Comment percevez-vous le fait que beaucoup, de nos jours, pensent que la scène haïtienne est morte ?

Honnêtement, il me faudrait d’abord leur demander de quelle “scène” ils veulent parler. Si on est dans le topic des espaces physiques, ils auraient complètement raison. Il n’existe pas de salle de spectacle dans tout le pays.
Cependant s’ils sont dans un contexte de production, mon démenti serait tranchant. Des textes dramatiques d’auteurs haïtiens reçoivent des prix internationaux ; des festivals de théâtre, des pièces en tournée, des séances de formation sur l’art dramatique, et tant d’autres initiatives sont en grande évolution en ce moment. Tant que les travailleurs de scène seront en mouvement, cette scène-là, elle ne mourra pas.

Comment vous voyez-vous demain, dans ce domaine que vous évoluez ?

Je suis plutôt une personne d’aujourd’hui en fait. Et aujourd’hui, je suis en train de me servir de ma plume et de quelques planches pour offrir une image digne de ma culture.

Entretien réalisé par Emmanuela DERISSAINT.
[email protected]

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