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Staloff Tropfort et le théâtre, petite histoire d’un coup de foudre éternel

Sacré meilleur comédien deux années de suite par Ticket Magazine en 2020 et 2021, Staloff TROPFORT est aussi metteur en scène et animateur de radio. Pourtant, il est un quasi-inconnu du grand public. Selon lui, le manque de médias spécialisés dans le milieu théâtral en est l’une des causes. Safety Promo l’a rencontré pour en savoir plus et permettre au public de découvrir cet éternel amant de la scène. 

Comment ont été vos débuts en tant que comédien professionnel?   

Tout a commencé en 2011 au centre culturel Pye Poudre avec Paula Clermont Péan. Nous avions travaillé sur un montage de textes pour rendre hommage aux victimes du séisme du 12 janvier 2010. C’était mon tout premier spectacle. La première fois que j’ai  signé un contrat à titre de comédien. J’ai poursuivi ma formation au centre culturel Pye Poudre et à Etoile Filante de Rolando Etienne à Fontamara. Un peu plus tard, avec Guy Régis Junior à la tête du département de théâtre à l’ENARTS, j’ai eu l’opportunité de me frotter aux gens du milieu théâtral qui venaient soit de l’Europe soit de l’Amérique du Nord pour offrir des formations. Voilà donc comment toute cette aventure a débuté. 

Et dès le début, ce fut le coup de foudre ou bien vous avez appris à aimer ce métier ? 

Avant que je ne me lance vraiment, il n’y avait rien de concret qui m’aurait fait penser que j’allais faire du théâtre en tant que métier. Un groupe d’amis et moi, « Lafanmi Wòklò », on se préparait à passer le concours d’entrée à la Faculté des Sciences Humaines (FASCH). Moi, je visais la communication. À deux reprises, ma candidature a été refusée. Alors avec Woodly Cayimites dit Filipo, un autre Wòklò qui s’intéressait à la sculpture, on s’est tournés vers l’ENARTS. On s’y est inscrit en attendant de pouvoir repasser le concours pour intégrer la FASCH. Vers la fin de 2010, avec la vie qui reprenait à Port-au-Prince, je me suis mis à participer à divers clubs de lecture à FOKAL ou à Pye Poudre. Dans ces clubs, il y avait des rubriques où l’on pouvait dire des textes et lire des extraits de roman. Lors de ces séances je recevais des félicitations de la part des personnes présentes. Et c’est à partir de là que j’ai eu un certain déclic. Je me suis trouvé dans un environnement où les gens me donnaient  l’impression de faire quelque chose de bien. Les compliments avaient l’air sincères et ils m’ont donné envie de m’améliorer. Au fil du temps, j’ai eu des sollicitations de part et d’autre de grands noms du milieu de l’époque tels que Rolando Etienne, Paula Clermont Péan, Guy Régis Junior,  Michèle Lemoine et puis  je me suis dit que j’avais peut-être un truc. 

Vous êtes à la fois comédien et metteur en scène,  cela s’est fait tout naturellement ou quelque chose vous y a poussé ?

Lors de mon passage à l’ENARTS, il y a eu une période où Guy Regis Junior menait des interviews avec chacun des étudiants pour savoir ce qu’on voulait vraiment faire après nos études. Je lui ai dit que je voulais être un grand comédien mais après lui avoir exposé mes envies, il m’avait fait comprendre que je venais de lui décrire le rôle d’un metteur en scène. Je me suis vraiment lancé dans la mise en scène en 2019. Avant, je faisais certains travaux de manière officieuse comme assistant avec James St Felix, Sybille France etc. Du travail semi-pro en quelque sorte. Mais c’est avec Pèlen Tèt que je me suis vraiment lancé dans la mise en scène.

Vous avez eu votre dernière représentation en décembre dernier, comment cela s’est-il passé ?

Je pense que les spectateurs sont mieux placés pour répondre à cette question (rires). 

La dernière présentation était une adaptation du texte de Jean d’Amérique. À sa première sortie en 2020, elle était « Nan Govi, cathédrale des cochons ». Mais en Décembre 2021, c’était une autre version, évoquant à la fois le concept scénographique de Derilon Derilus (qui dispose une boîte dont les éléments décoratifs font référence à un péristyle) et le texte de Jean d’Amérique sur lequel je travaillais en parallèle. C’était comme un mélange. Il y a un beau passage dans le texte qui m’a offert la possibilité de poser le personnage comme quelqu’un qui était passé de l’autre côté:

‘’Attends, je dois vous laisser 

Les gardes arrivent 

Hier, c’était la matraque 

Aujourd’hui, je ne sais quoi 

Je t’écrirai peut-être de l’au-delà” 

Donc, j’ai décidé de mettre en scène un personnage qui raconte sa traversée en décrivant l’espace où il était incarcéré. J’ai fait une commande à Ketsia Vainadine Alphonse pour qu’elle écrive sur une personne qui correspondrait à ce profil et d’y ajouter un texte hommage à quelques étudiants militants qui sont morts en se battant et en résistant. Le texte de Ketsia m’a renvoyé à la vie de l’étudiant Gregory Saint-Hilaire : ses déboires et ses batailles à l’université et son combat pour le bien-être en général. 

Ticket Magazine vous a décerné le titre de comédien de l’année, comment avez-vous reçu cette distinction ? 

Ticket Magaine n’est pas un média spécialisé dans le domaine du théâtre, c’est la première chose à savoir. Pour moi, c’est plus un magazine people qui s’occupe d’actualités (de buzz). Certes, ils m’ont décerné le titre mais ils n’ont même pas essayé de m’interviewer de toute l’année. C’est la deuxième fois consécutive qu’ils m’accordent ce titre et pas un seul journaliste ne m’a contacté depuis le temps. Par contre, moi je fais de mon mieux pour les mettre au courant de ce que je réalise. Par exemple, lorsque j’ai été lauréat du « Visa pour la création », je leur ai écrit. Je ne connais pas les critères du magazine mais ils m’ont quand même choisi donc c’est bien. Il y a au moins trois grands festivals de théâtre dans le pays, les organisateurs pourraient par exemple se concerter pour décerner un prix. Je ne sais pas si cela existe dans d’autres pays – ni si c’est obligé d’exister – et je ne sais pas non plus si cela va aider les comédiens à quelque niveau que ce soit. C’est juste une idée.

Après l’annonce de votre prix, beaucoup de personnes se sont mis à demander qui vous étiez. Qu’est-ce que cela vous a fait ? Que proposez-vous pour y remédier ?

Je peux proposer plusieurs choses et la première au risque de paraître sarcastique, ce sera de demander à ces personnes d’effectuer une petite recherche sur moi et elles trouveront ainsi quelques informations (rires). Blague mise à part, je me permets d’insister sur le fait que Ticket Magazine ne soit pas un média spécialisé dans le domaine. Mais puisque depuis plusieurs années, ils décernent des prix à des personnes dans le milieu, alors ils devraient peut-être envisager de mettre un ou plusieurs journalistes à disposition pour mener des interviews, écrire des articles, prendre des photos lors des événements et ainsi on aurait une meilleure visibilité. J’ai été nommé à deux reprises et la même question revient à chaque fois parmi leurs lecteurs. Donc en l’espace d’un an, le public a déjà oublié mon visage. 

Autre chose, on pourrait aussi utiliser les réseaux en produisant des contenus accessibles comme le font la plupart des artistes tout en évitant de tomber dans la facilité parce qu’il y a une certaine tendance à assimiler le comédien à celui qui fait rire ou au genre comique mais le comédien c’est celui qui joue sur scène. Et de plus il y a le drame ou la tragédie qui se distinguent de la comédie de par leur ton et des fins malheureuses. Donc il se pourrait qu’on ne plaise pas à tout le monde parce que j’ai l’impression que les gens s’attendent à voir quelqu’un qui les a fait rire sans fin ni cesse lorsqu’ils entendent « comédien» et bien que je possède ce talent, je ne vais pas me laisser enfermer dans cet écueil parce qu’il y a déjà d’autres personnes qui le font très bien sur les réseaux. Je propose de préférence que l’on s’intéresse à nos problèmes quotidiens, qu’on les pointe du doigt: l’insécurité, la violence faite aux femmes et aux enfants ou encore le kidnapping. Le problème en ce qui me concerne n’est pas le fait que des personnes disent ignorer qui je suis. Ce sont de préférence les méchantes insinuations quant à l’obtention de cette distinction qui démontrent clairement un manque d’information et de formation. Je suis disposé à produire du contenu audiovisuel disponible sur les plateformes numériques les plus connues tout comme Eliezer Guerismé qui a travaillé tout au cours de l’année 2020 avec « Ti Seri Ayiti» mais je ne peux m’empêcher de penser que si ça avait été lui qu’on avait distingué pour son excellent travail, il y aurait encore des gens qui viendraient demander à qui ils ont affaire parce qu’il est évident qu’un tel travail n’attirera pas tout le monde.

Quelle est la place du Théâtre en Haïti en cette année 2022 ? 

Le théâtre est un domaine artistique qui est souvent négligé. On ne lui donne pas assez d’espace pour évoluer. D’ailleurs, le Ministère de la Culture ne l’intègre même pas dans sa politique culturelle si jamais il y en a,  quitte à l’associer au carnaval par exemple. Si on remonte aux origines du théâtre dans la Grèce antique, lors des cultes d’adoration envers Dionysos, le théâtre était déjà lié aux festivités carnavalesques et pourtant on l’en exclut aujourd’hui. On est en 2022 et depuis 5 à 6 années où l’insécurité gangrène le pays, on en est rendus à s’imposer un couvre-feu dès 6 heures de l’après-midi. Cependant, dans la culture du spectacle, les représentations théâtrales se font normalement vers 6 ou 7 heures. On a dû s’adapter. Les pièces sont présentées à 4 heures pour éviter de mettre les spectateurs en danger parce que les rares espaces qui peuvent nous accueillir ne sont pas toujours placés dans des endroits sécuritaires. Donc cela nous affecte profondément et le public déjà restreint qui venait nous assister fait face à de plus gros soucis maintenant comme la distance avec les lieux où l’on se produit. Tout cela pour dire que l’insécurité nous met à genoux. Ce que l’on perd en quantité, on le retrouve en qualité et je peux dire que c’est une belle période pour le théâtre haïtien, avec Cathédrale des cochons qui a été nominé pour le prix RFI, Opéra de Poussière qui l’avait remporté en 2021, Gaëlle Bien-Aimé, Rolaphton Mercure, Naiza Saint-Germain qui sont acclamés pour leurs œuvres respectives, il y a quand même lieu de parler de l’émergence d’auteurs dramatiques haïtiens.

Comment avez-vous vécu votre dernière expérience au Festival Quatre Chemins ? 

Le festival Quatre Chemins est le plus grand festival de théâtre du pays. Non seulement en terme de budgets, de subventions et de collaborations mais aussi en terme d’activités et de participants ce qui leur offre beaucoup plus de visibilité. Participer à cette grande activité en tant que comédien est un privilège parce que même s’il se déroule en Haïti, c’est un festival international, et il permet de discuter, échanger, faire du réseautage avec des comédiens, metteurs en scène et des opérateurs culturels étrangers. Néanmoins, cela a été la routine pour moi avec tout le stress à gérer et en plus cette année l’expérience a été assez douloureuse parce que je suis monté sur scène seulement un jour après mon retour de résidence mais j’ai reçu un bon feed-back donc c’était plutôt satisfaisant.  

Et avec « Solda Twal » ? 

La présentation de « sòlda twal » sur la dernière édition du Festival Quatre Chemins était un travail en chantier. J’ai eu la possibilité, lors du festival de la proposer et de la tester pour avoir les réactions du public et savoir si on pourrait le rejouer dans la prochaine édition. C’est un projet de mise en scène qui sera différent de mes précédents travaux. C’est une nouvelle aventure, l’occasion de tester mes propres limites mais je n’en dirai pas plus. Je planifie de la mettre sur scène en février. 

Quel est votre meilleur souvenir lié à tout ce que vous avez accompli dans le théâtre ? 

Mon meilleur souvenir est aussi un mauvais souvenir. C’était dans l’édition En Lisant Lemoine, je devais jouer un monologue sur la mise en scène de Chelson Ermozat : “Face à la mer” de Jean René Lemoine, un ténor dans le milieu. Chelson avait dû s’absenter pour se rendre en France et l’assistant metteur en scène qui devait le remplacer était aussi scénographe sur plusieurs spectacles du festival ce qui le rendait assez peu disponible. Pendant l’une de mes répétitions de ce monologue tiré de l’expérience personnelle de l’auteur (il y décrit ses rapports avec sa mère en tant qu’enfant, en adolescent et à l’âge adulte, avec qui il a développé des rapports difficiles surtout à partir de l’adolescence. Ils ont tenté de recoller les morceaux lorsqu’il est devenu adulte mais sa maman finira assassinée en Haiti pendant que lui était en France. Il a joué cette pièce plus de 40 fois.), je l’interprétais et Jean René Lemoine est apparu. Il m’a dévisagé en souriant sans dire mot. J’ai carrément flippé.  J’ai non seulement laissé la scène mais cela m’a laissé avec un trop-plein de sentiments tous mélangés parce que j’allais me produire devant lui pour dire son histoire. 

Au final, le spectacle s’est bien passé. Il m’a même reçu chez lui après la représentation et on a discuté sur le fait que la pièce pouvait aller encore plus loin. Malheureusement des problèmes administratifs ne nous ont pas permis de donner suite. En apparence, la pièce est assez facile à reproduire mais j’avais quand même des appréhensions.

Une dernière chose à ajouter ? 

Depuis 2015, je fais un travail de concert avec Sachernka Anacassis et Miracson St-Val, nous faisons de l’Ethnodrame. On a visité plusieurs « lakou » et on mène des enquêtes sur le rapport entre le vaudou et le théâtre et on a pu  créer nos spectacles à partir de ce qu’on a assisté dans les « lakou » et c’est vraiment important pour moi parce qu’il y a peu de gens qui utilisent ce champ dans leurs spectacles. Je pourrais citer Guy Régis Junior même s’il ne se réclame pas comme tel, mais utiliser le vaudou comme source d’inspiration, faire de l’ethnodrame c’est ainsi que j’aimerais que l’on m’identifie que ce soit en tant que comédien ou metteur en scène. 

Widenie Bruno

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